Introduction : un jeu, un déclencheur inattendu
J’avais acheté ce jeu, le Kanoodle, pour mes enfants. En le leur montrant, j’ai eu envie d’essayer le premier niveau en 3D… et je l’ai résolu. Puis trois d’affilée, en moins de 5 minutes chacun. Level Expert ? Même résultat. Le lendemain, niveau Genius : le premier m’a demandé un poil plus de temps, mais les deux suivants ont été expédiés en moins de cinq minutes. Une semaine après, intriguée par cette facilité inattendue, j’ai voulu vérifier si je réussirais systématiquement : j’ai alors terminé tous les puzzles 3D du dernier niveau, chacun en moins de 5 minutes. À chaque fois. Une fois le système compris, mon cerveau déroulait.
Ce n’est qu’un puzzle, rien de spectaculaire en apparence. Et pourtant, cette expérience m’a renvoyée à un chapitre de mon histoire cognitive et à des croyances limitantes installées quelques années auparavant (un peu comme un flash).
Quand un puzzle corrige un test passé des années plus tôt
En 2018, bien avant mes diagnostics TDAH (2022) et TSA (2025), j’avais passé un WAIS auprès d’une psychologue, cherchant enfin dans une démarche autrement structurée « ce qui clochait avec moi-même ».
Résultat notable : un score faible (6) au subtest Cubes, qui fait partie de l’indice de raisonnement perceptif (IRP). La psychologue m’ayant fait passer les tests n’ayant rien soulevé quant à ce score faible à l’époque si ce n’est dire que j’avais été moins à l’aise ici, et moi ne sachant rien alors des troubles du neurodéveloppement, j’avais formulé par moi-même l’hypothèse d’une dyspraxie visuo-spatiale compensée – hypothèse corroborée plus tard par la neuropsychologue m’ayant fait passer le TAP (test attentionnel) dans le cadre du parcours diagnostique ayant mené à mon diagnostic TDAH.
À l’époque, après des années d’errance et dans ma quête de réponses, j’ai intégré cette interprétation… et avec elle une croyance limitante :
« Je suis nulle en visuo-spatial. »
Pendant des années, cette étiquette a façonné pour partie ma perception de mes capacités (je me le confirmais d’autant plus facilement que j’étais en souffrance au collège sur tout ce qui touchait à la géométrie et faisais ce lien).
Puis arrive ce puzzle. Cela faisait longtemps que je n’en avais pas fait.
Et là, mon cerveau déroule : fluide, logique, stratégique.
Bien sûr, le Kanoodle et le subtest Cubes du WAIS ne sollicitent pas exactement les mêmes processus cognitifs — aussi l’un est autochronométré dans un contexte familier, l’autre est minuté sous contrainte normée avec des exigences visuo-motrices spécifiques. Mais c’est justement là que se révèle le piège : mon cerveau avait généralisé un score faible à un subtest en une croyance globale sur mon intelligence spatiale.
Je comprends alors que le score ne reflétait pas ma capacité réelle de raisonnement spatial et d’analyse complexe.
Ce qu’il avait révélé en réalité : ma difficulté à lire rapidement les figures 3D, décoder les lignes et les contours (blanc/rouge difficiles à percevoir pour moi) dans un contexte normé et minuté, mais pas une absence de logique spatiale.
En parallèle, ma pensée fulgurante et mes compétences analytiques ne pouvaient être pleinement visibles dans le cadre de ce test.
Les tests normés : utiles… mais pas neutres (profils TDAH, TSA)
Les bilans cognitifs peuvent fournir des informations importantes, mais il faut garder à l’esprit leurs limites :
Limites et biais des tests cognitifs
- Minuté et normé : la pression du chronomètre influence la performance
- Décontextualisé : loin des situations de vie réelle
- Coordination motrice requise : certaines personnes neurodivergentes peuvent être désavantagées
- Régulation émotionnelle sollicitée : calme et concentration ne sont pas toujours sur commande
- Contexte d’évaluation : l’environnement et la relation avec le professionnel jouent un rôle
Un test ne mesure pas le cerveau.
Il mesure une façon de fonctionner dans un contexte précis.
Et c’est souvent à partir de ces cadres artificiels que naissent les malentendus.
WAIS, visuo-spatial, dyspraxie : tout n’est pas ce que l’on croit
Beaucoup peuvent alors repartir avec des idées telles que :
- « J’ai des faiblesses visuo-spatiales »
- « Je ne sais pas organiser l’espace »
- « Mon score bas prouve que je suis limitée »
Mais ces subtests de l’IRP mobilisent aussi :
- La coordination motrice (mouvements précis et rapides)
- La planification gestuelle (anticipation des mouvements)
- La gestion du temps (performer sous pression)
- L’inhibition et la maîtrise des impulsions
- La tolérance à la frustration
- L’anxiété de performance
- La lecture visuelle des figures (décoder les lignes et contours en 3D)
- La décontextualisation de la tâche (absence de système logique ou de pattern à identifier)
Autrement dit :
→ On peut échouer à un test sans manquer de logique spatiale
→ On peut être dyspraxique mais excellent en raisonnement spatial et analyse complexe
→ On peut avoir une difficulté de lecture visuelle sans déficit en intelligence spatiale
Pour les profils TDAH/TSA, le stress et le cadre normé peuvent altérer significativement la performance, et les neurosciences confirment que ces compétences reposent sur des réseaux distincts.
Cette réflexion n’est pas isolée : des méta-analyses neuropsychologiques récentes montrent que chez des personnes neurodivergentes (TDAH, TSA), certains subtests du WAIS/WISC (notamment ceux liés à la vitesse de traitement) peuvent être plus faibles, alors que des compétences comme le raisonnement, la perception abstraite ou la capacité à repérer des patterns restent intactes ou sont même des points forts. Ces études soulignent l’importance de ne pas se limiter aux scores standardisés : certaines capacités réelles — dans des contextes plus naturels — peuvent ne pas être « visibles » lors d’une évaluation normée.
Et pendant ce temps… les croyances limitantes s’installent
Un score devient une réalité.
Une faiblesse contextuelle devient (une partie d’) identité.
On peut se croire « moins capable ».
On peut penser avoir un déficit inexistant.
Et s’auto-limiter.
Même après des années de travail personnel, un test peut renvoyer à une croyance ancienne.
Pour moi, ce puzzle a été une prise de conscience salvatrice : la croyance héritée du WAIS pouvait enfin être pleinement mise de côté.
Tous les professionnels ne prennent pas toujours le temps d’expliquer certaines nuances. Et en amont, on ne sait pas toujours qu’on peut — ou qu’on devrait — demander également cette contextualisation.
Reprendre la main sur son propre récit cognitif
Ma pensée fulgurante, mon hyper-analyse, ma capacité à repérer des patterns, à identifier des structures complexes et à générer des insights stratégiques… tout cela est réel, même si les tests n’avaient pas rendu visibles ces compétences.
Ces capacités, que j’ai mobilisées dans mon parcours professionnel pour analyser de grands volumes de données et en dégager des tendances, peuvent ne pas apparaître dans certains contextes d’évaluation normés.
Ces compétences se révèlent particulièrement dans des contextes où une logique systémique peut être identifiée et appliquée – comme dans l’analyse de données, la résolution de puzzles logiques, ou face à des problèmes complexes à structure sous-jacente. À l’inverse, les tâches purement visuo-motrices, décontextualisées et sans pattern logique apparent, peuvent ne pas solliciter ces forces cognitives.
Je sais intuitivement depuis toujours qu’il existe plusieurs logiques. Certaines sont abstraites, très théoriques — comme les mathématiques scolaires. D’autres sont appliquées, concrètes, systémiques — comme le code ou l’analyse de données. Ce ne sont pas des niveaux, mais des façons différentes de penser, mobilisant des circuits cognitifs distincts. On peut exceller dans l’une et moins dans l’autre, sans que cela traduise un manque de logique.
C’est là toute l’importance d’élargir son regard, de considérer l’ensemble du contexte d’évaluation, le rôle du professionnel et son environnement, pour explorer pleinement son propre paysage cognitif et émotionnel — plutôt que de se limiter à ce qu’un résultat chiffré pourrait suggérer.
Le parallèle entre le Kanoodle et le WAIS n’est pas une comparaison scientifique : c’est le révélateur d’un biais de généralisation que mon cerveau avait opéré. Un score faible à un subtest était devenu, dans mon esprit, un déficit global en intelligence spatiale. Cette expérience simple m’a permis de finir de déconstruire cette croyance ancrée malgré le fait que je n’y mettais pas de sens, et de m’approprier mon fonctionnement réel, indépendamment des évaluations normées.
Ce que je retiens, et que je souhaite transmettre ici :
- Un test est un outil, pas une identité
- Notre fonctionnement réel se révèle dans la vie, pas seulement dans des normes standardisées
- Les contextes artificiels ne reflètent pas toujours nos compétences naturelles
- Certains cerveaux neurodivergents excellent dans la reconnaissance de patterns et l’analyse de systèmes logiques, compétences qui ne sont pas systématiquement sollicitées ou mesurées par tous les subtests standardisés
- Une compétence ne disparaît jamais : elle peut être masquée, inhibée, ou non testée
- Une salle d’évaluation n’est pas notre environnement optimal ; ce qui semble absent peut simplement être inaccessible dans ce contexte
Dans mon cas, un puzzle 3D ne dit pas tout de moi.
Mais il a fini de me rendre ce morceau de confiance que j’avais oublié avoir laissé à des chiffres.
Pour celles et ceux en parcours diagnostique ou en réflexion
Nous ne sommes pas nos scores.
Nous ne sommes pas nos sous-tests faibles (ou nos sous-tests forts par ailleurs)
Nous ne sommes pas nos écarts à la norme.
Nous sommes :
- Un fonctionnement
- Une cohérence
- Une intelligence singulière — parfois mal comprise, mais toujours là
Et parfois, il suffit d’une petite expérience du quotidien… pour se rappeler tout ce que les tests ne révèlent pas. Et tout ce qui peut nous rester à explorer de notre territoire personnel.
Note importante : Cet article reflète mon expérience personnelle et ne constitue pas un avis clinique sur le WAIS ni sur d’autres personnes neurodivergentes. Chaque parcours est unique.
Attention : un diagnostic fait partie de nous, mais ne nous définit pas.
Prenons garde à ne pas nous ancrer dans des croyances dévalorisantes ou limitantes. Même quand on croit avoir avancé dans la compréhension de soi, certaines croyances peuvent persister — jusqu’à ce qu’une expérience fortuite les révèle et permette enfin de les mettre de côté.
Pour aller plus loin
Des recherches récentes confirment ce que beaucoup de personnes neurodivergentes vivent : les tests standardisés ne racontent pas toute l’histoire.
Une méta-analyse de 2024 portant sur plus de 1 800 personnes TDAH/TSA montre que leurs profils cognitifs sont souvent « en pics et creux » : des points forts importants dans certains domaines (comme le raisonnement ou l’analyse de patterns), mais des scores plus faibles dans d’autres (notamment la vitesse de traitement sous contrainte).
Ce que cela signifie : un score faible à un subtest ne reflète pas forcément un déficit global. C’est souvent le contexte d’évaluation (stress, contrainte de temps, environnement normé) qui masque des compétences bien réelles.
Source : Wilson, A. C. (2024). Cognitive Profile in Autism and ADHD: A Meta-Analysis of Performance on the WAIS-IV and WISC-V. Pour celles et ceux qui souhaitent approfondir, cette étude est accessible sur PubMed et d’autres travaux similaires y sont également disponibles.
